RELAPSE OU BAREBACKING ?

Depuis cinq ans, le "Relapse", c'est à dire le relâchement des pratiques sexuelles protégées ("Safe") a pris ses habitudes dans la communauté homosexuelle.
Cette modification de la perception du risque n'est pas nouvelle mais vient d'être confirmée par les récentes enquêtes de terrain. Philippe Adam (Institut de veille sanitaire) précise : " bien que visible sur tout le territoire et dans de nombreux groupes, le relâchement de la prévention avec les partenaires occasionnels apparaît le plus important chez Franciliens, chez les jeunes, les adeptes du muti-partenariat et, plus encore, parmi les gays séropositifs..."
 
Du Relapse...

Sans entrer dans une typologie des pratiques à risque, il s'agit de s'entendre sur le sujet. 

Le Relapse désigne la tendance à l'abandon occasionnel des pratiques protégées (Safe). Nombre d'entre nous semblent s'être progressivement habitués à des expositions au risque répétées, que ces pratiques à risques concernent la sexualité orale ou anale.

Passant de rapports non protéges (sans préservatif) rares, conscients ou accidentels, à des expositions au risque plus fréquentes et volontaires, chacun peut glisser vers le "Barebacking" qui signe des pratiques systématiques de rapports non protégés.

Rançon de la banalisation des  comportements de non protection, les conséquences, à venir, du relapse sont claires : reprise de l'épidémie su Sida et, déjà,  recrudescence des MST, en particulier de la Syphilis.

L'abandon occasionnel ou plus systématique du préservatif semble trouver ses ressorts dans la conjonction de facteurs individuels, culturels et propres à l'environnement de la rencontre :

  • l'arrivée des nouveaux traitements ayant conduit, dès 1996, à une résurrection  "visible" de nombre de séropositifs et, par la même, montré leur efficacité ;
  • le discours ambiant, trop "optimiste", sur le Sida, perçu alors comme une maladie certes incurable, mais, avec laquelle, il était possible de vivre dans un confort relatif ;
  • 'absence de communication sur la lourdeur des traitements - sur les échecs thérapeutiques, sur la mutation du virus et les échecs des traitements ;
  • l'arrivée du traitement prophylactique, dit de "post-exposition", laissant croire qu'un accident peut être sans conséquence ;
  • l'absence de processus régulateur du phénomène Bareback (qui n'a rien de nouveau), rançon d'un contexte universaliste qui renvoie les gays au registre citoyen, c'est à dire à l'indifférence et à la liberté de choix ;
  • la production d'une culture valorisant la jeunesse et la perfection corporelle, rendant, pour beaucoup, difficile une projection optimiste du vieillissement, en particulier chez les jeunes.
 
Bien d'autres hypothèses pourraient être posées : impact du multi-partenariat, de la séropositivité, du rêve "post-sida", de la fragilité psychologique, de la précarité, de l'accès à une information préventive claire et parlant franc etc.

... au Barebacking

Le Barebacking, s'il a un mérite, c'est bien celui d'être clair et affirmé - il laisse peu de place aux prétextes, au manque d'information où à la naïveté : " les barebackers n'ont pas oublié les ravages du Sida dans leur propre communauté, de son souvent des séropositifs ou assumant le risque de le devenir " (Carson, 1998).

Le Barebacking c'est l'affirmation du choix délibéré et parfaitement conscient de rapports non protégés. Comme le précise Jean-Yves Le Talec, l'expression Bareback signifie " monter à cru " (bareback horseriding). 

Elle est apparue dans le milieu gai vers 1995, aux États-Unis où ce phénomène s'est développé en réseaux et sur le réseau des réseaux. Il fut immédiatement perçu comme une sous-culture communautaire gaie provoquant les  partisans de l'assimilationniste (sex-panic) en  s'inscrivant en dehors d'une gestion sociale de la sexualité et  perturbant de l'image bien propre que la communauté homosexuelle cherche à donner d'elle-même ".

Clique ici pour en savoir plus sur les fondements du mouvement bareback

En France, les adeptes de ces pratiques, volontairement non protégées, ne semblent pas se constituer en idéologues, le discours fragmenté sur le Barebacking est peu médiatisé, ce qui ne veut pas dire qu'il ne prend pas doucement et silencieusement sa place dans les pratiques sexuelles des pédés.

On peut " entendre " plusieurs motivations : retour au naturel, retour au plaisir d'une sexualité libérée du latex et partagée (dans le couple), quête du risque et / ou d'une " défonce " propre au rassurement dans des rapports sexuels impersonnels, excluant le désir au profit du besoin : besoin du foutre (de l'autre), besoin d'être comblé, besoin de plomber (donner ?) : il y semble se cacher, derrière le barebacking, plus de souffrances que d'épanouissement.

Il semble se dégager des tendances barebacks marquées par deux cadres extrêmes :

  • un cadre assez " clean " où le plaisir est mis en avant (dans le couple, dans des rapports fusionnels) dans des trips orgiaques ;

  • un cadre, plus extrême, où se posent des questions de pulsion , d'estime - de soi, des autres... : celui des backrooms où les relations sexuelles impersonnelles et / ou à partenaires multiples.

Il n'y a qu'un pas...
 

Le Barebacking est en marge, il est stigmatisé par les acteurs de prévention et donc utilise ces espaces de liberté que nous avons désignés comme interstitiels : les backrooms,  les lieux de drague peu socialisés, les réseaux.

Internet est un espace où l'expression Bareback est la plus tolérée. Barebackcity est un bon exemple : ce portail  propose des ventes commerciales de vidéo, des recherches de membres au niveau mondial, un agenda de orgies, c'est l'anti-Gay.com !

En France, trois ou quatre sites importants se spécialisent autour de la question : le Dreambook de MarcoSM, Xmengay et, depuis peu, Bbackzone, sans parler de nombreux sites, plus personnels d'adeptes tel Keuajus proposant des galeries et des petites annonces.

Si certains sites refusent le dialogue et s'orientent clairement vers une approche radicale, d'autres affirment une certaine volonté de réduction de risque, tel Bbackzone, qui différencie les profils des membres séronégatifs / séropositifs, et s'inquiète plus de la syphilis que du Sida... (!)

L'univers intellectuel n'est pas absent du discours Bareback. Guillaume Dustan, Erik Rémès : du Queering Bareback, parce que le Bareback provoque les extrêmes, dérange, touche les modes de vies des Pédés. Et puis il y a la querelle versus Act Up-Paris, / Didier Lestrade, qualifié de "ayatollah du Safer-sexe" ... voir développements sur la partie Bak du site d'Erik Rémès.

Tant qu'aux éditeurs généralistes, face à la difficulté de gestion du risque bareback, ils préfèrent souvent le censurer et, de fait, paradoxalement, contribuent à renforcer la tendance en les renvoyant à leurs propre univers.

C'est donc dans un réel effort de réduction du risque et de meilleur intelligibilité du phénomène que nous avons mis en place le Guide Safeboy, pour t'informer des risques que tu peux être tenté de prendre où de solliciter.

 

avec, comme règle du jeu :

Ce visuel, utilisé lors d'une campagne d'Act Up-Paris, a choqué et déclenché une radicalisation du discours Bareback. Il a renvoyé chacun à ses fantasmes comme à sa culpabilité.

Cependant, il rappelle l'essentiel : le virus (canalisé par ce calibre 22 ou ces trous, comme tu le sens...) tue encore et ne te rateras pas. 

Si tu fais le choix de répéter des " trips NoKpotes ", et que tu te trouves séronégatif, tu ne le resteras pas longtemps... Evidemment, tout cela est affaire statistique et théorie des jeux (à somme non nulle ?) pour qui "snuffe" à la roulette russe.

Si tu es séropositif, tu entendras souvent un discours minimalisant ou occultant les  conséquences directes à court, moyen ou long terme de ce trip sur ta santé.

Être déjà plombé ne veut pas dire être " vacciné " contre le virus : cela impose au contraire beaucoup de vigilance sur sa santé : prendre soin de soi et de ses proches.

Quels que soient les discours rassurants que tu pourrais entendre, méfie toi : la séro-concordance, la faible présence virale  liée à un traitement multi-thérapeutique, l'absence de sur-contaminations (non démontrée)... tout cela n'est que leurres ou prétextes à rassurements. Sache qu'avec un peu de mal chance, une seule fois suffit.

Ce qui est certain, c'est que, globalement, le Barebacking favorise les  échecs thérapeutiques.

En effet, le VIH est un virus mutant, qui intègre, dans sa mémoire stratège,  les résistances aux anti-retroviraux auxquels il a été confronté. 

Être contaminé (ou exposé à nouveau) par (à) une nouvelle forme virale résistante aux traitements pris par leurs hôtes c'est, lorsque vient le temps de suivre ou de poursuivre un traitement médical, diminuer ses chances de rémission (car il n'y a pas de guérison possible).

Par ailleurs, outre la question du Sida, il te suffit de consulter la liste des MST pour comprendre qu'une sexualité non protégée te conduira à choper des tas de maladies, à les refiler à ceux que tu apprécies, à carburer dans les backrooms sous antibiotiques ... bref ... si tes défenses immunitaires ne sont pas "top" tu es vraiment mal parti : résistances aux antibiotiques, aux multi-thérapies, arrêts maladie, isolement, flippe, peur, trip compulsif, personne pour t'écouter et le cercle se referme sur lui-même : piégé !

Sembleront bien loin, alors, les bordels bandant où le discours ambiant laisse entendre que mettre en jeu sa vie, pour un peu de plaisir sans latex, est une chose tout à fait légitime.

   Une tendance ancienne qui prend de l'ampleur

 

Ne te formalise pas face à ce discours un peu radical. Il est très courant de " kiffer " sur le Barebacking (entre culpabilisation, tabous & transgression des normes).

Il est presque aussi normal de passer de ce  " Kiffer " au " Trip " puis au " Prosélytisme ", tout ne semble que question de progression dans l'expérience et d'éloignement d'un comportement  social majoritaire (nous parlons de la majorité homosexuelle, évidemment) : voir notre article sur la Queer Tendance

Dans le labyrinthe des backrooms parisiennes, dans les angles morts des lieux de rencontres extérieurs, dans les soirées privatives entre hardeurs, le barebacking se pratique parfois depuis longtemps et aucun regard n'ose se poser comme censeur : au contraire, ce trip devient le  prétexte à de nouvelles rencontres voire à sous-culture sociosexuelle en réseau.

L'amplification populaire du phénomène est, par contre, nouvelle et mérite quelques études scientifiques réellement pluridisciplinaires.

Il semble que si les "Trips" Nokapote (Sans- Préservatif) des années 90 étaient limités à un service Minitel, à un réseau téléphonique (local commuté) très parisiens, ainsi qu'à quelques backrooms dépraves, encore plus parisiennes, (où le Barebacking était, d'ailleurs, ce qu'il y avait  de plus clean/soft/banal) le barebacking d'aujourd'hui devient plus populaire et donc plus dangereux trouvant un puissant répondant (fantasmatique) :

  • sur le réseau Internet (ses sites de rencontres Bareback que nous citions au dessus - associées à leurs  galeries de Pics tirées des vidéo un-safe des années 80) ;

  • à des productions vidéo amateurs où les adeptes filment et commercialisent des orgies ;  

  • sur la plaque parisienne des réseaux Audiotel ;

  • dans les Cruising bars / sexe-Clubs branchés, très fréquentés par une nouvelle génération de jeunes gays " sans tabou ", assez éloignés du stéréotype du hardeur et dont le savoir sur la maladie est inopérant.

& NOUS concerne tous

Parce que, en 2002, le Barebacking n'est plus une affaire de Hardeurs (s'il ne l'a jamais été) : c'est celui de l'homosexuel jeune et libéré qui aime le cul et ne pose plus le préservatif comme une affaire de principe, surfe sur le Web et use, pour ses rencontres, d'un téléphone mobile lui octroyant liberté et anonymat. 

... Jeune, beau, la vie devant lui, un environnement tolérant, des pulsions, avec la peur de vieillir, un besoin urgent de croquer la vie à pleine dent, le sida est déjà loin, et puis il y aura un vaccin, et puis de toute façon, il faut dix ans pour avoir quelques signes... 

Le plus grand danger est bien là : dans la banalisation du Barebacking.

Pour ceux qui adoptent un point de vue communautaire et ne renvoient pas à l'état la responsabilité du phénomène, il est donc d'un devoir militant de comprendre et de réguler la tendance avant que d'autres (moins bienveillants pour notre communauté) ne s'en mêlent .

imposant à chacun un devoir de conscience...
 

Il semble donc du devoir de ceux qui avaient 20ans, dans les années 80, et ont vu, de leurs yeux-vus, la mort déferlante d'agir et de témoigner des étapes difficiles qui furent nécessaires à une prise de conscience tant individuelle que collective des risques du VIH : de l'incrédulité initiale (le cancer gay ?) à la création des comités Aides et d'Act-up  où les militants ont donné, dans la souffrance des deuils, une exemplaire énergie.   

 

Il semble aussi et surtout du devoir des Barebackers, qui prennent une lourde responsabilité, de refuser en conscience celui qui peut être tenté : il semble donc essentiel " d'entrer " dans le débat plutôt que de prendre " son "  Barebacking comme une " petite affaire personnelle ".

  • à chacun donc, dans sa vie intime, avec ses partenaires, ses amis, dans ses dialogues, dans la rédaction de ses P.A., de prenne soin de ne pas zapper cette question ;

  • aux patrons d'établissements gays de ne plus cautionner par leur silence ce qui se pratique, chez eux, depuis des années. Toute équipe connaît ses clients et ses trips. Il va être difficile de dire NON à ce que l'on a toléré durant des années. Mais il s'agit d'en parler ;

  • aux éditeurs télématiques, Audiotel, Internet, de mettre en ligne des informations pertinentes, quitte à ce qu'elles soient choquantes, qui ne fasse pas rimer prévention à pudibonderie.

 

...et une prompte réaction

Un an après l'acte de vigilance d'Act-up de 2000 (AG des Pédés) la scène gaie semble cette années devenue muette sur la question Bareback.

Énoncer la question dans les média ne semble pas avoir fait réellement bouger les actions de terrain. Aucune communication claire sur le Bareback n'a circulé, surtout en province ou la population gaie semble plus épargnée.

Quelques recherches sont en cours et le bilan de l'Institut de Veille Sanitaire, publié ces derniers mois, est édifiant.

Que signifie cette indifférente face à un phénomène qui va saper des années de travail ? Cette situation, assez silencieuse (actup-Paris excepté), où règne l'absence de débat (incluant les barebackers) montre clairement la difficulté militante face aux marges : oser communiquer sur le barebacking, c'est déjà l'assumer, sans jugement ni honte : et, pour cela, faut-il déjà le comprendre...

Si ce challenge vous intéresse, contactez-nous

Ce texte ne donne pas de leçons. Il suggère quelques pistes sur laquelle nous travaillons, pour mieux comprendre, pour  prévenir et informer de manière pertinente. Nous ne sommes pas très nombreux à essayer de communiquer " Safe " sans produire de l'exclusion et ce n'est pas chose facile.

Car le bien le danger qui se rode aujourd'hui est bien celui de l'exclusion - exclusion de l'homosexuel hors norme, du barebacker séropositif irresponsable et meurtrier, exclusion des malades, des étrangers...

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